Comme toute tragédie historique, l’Holocauste ne peut être considéré que rétrospectivement, et sa horrible totalité – 11 millions de morts, dont six millions de Juifs – donne souvent l’impression que les tentatives de compréhension des actions et des logiques de ses auteurs sont perverses, voire insultantes. On peut faire valoir que seul le mal pur peut provoquer un désastre d’origine humaine d’une telle ampleur, et qu’expliquer l’accumulation de ces crimes de guerre généralisés ne fait qu’humaniser la voie inhumaine et génocidaire choisie par les criminels. Ce n’est qu’en étudiant les préludes aux catastrophes que nous pourrons empêcher la répétition de telles atrocités.

« Kauft Nicht bei Juden » : marginaliser les Juifs
Point de non-retour : les lois de Nuremberg ...

Après avoir obtenu le pouvoir absolu, Hitler n’a pas perdu de temps pour séparer les Juifs de la société dominante.

En 1935, les lois dites de Nuremberg ont institutionnalisé plusieurs notions racistes importantes dans l’idéologie nazie. Les Juifs furent privés de leurs droits, déchus de leur citoyenneté et interdits d’épouser des personnes de « sang allemand ou apparenté à l’Allemagne ». Les Juifs furent expulsés de l’armée et incapables de devenir médecins. Progressivement, certaines régions ont adopté des règles encore plus strictes ; par exemple, à Düsseldorf, les Juifs n'étaient plus acceptés dans les hôpitaux municipaux.

Vint ensuite la ruine économique. L’Allemagne a ordonné aux agences gouvernementales et aux grandes entreprises de se soumettre à une « aryanisation » à grande échelle. Les Juifs ont été licenciés en tant que directeurs et ouvriers, et les principales entreprises appartenant à des Juifs ont été transférées à des non-Juifs. En 1938, les entreprises appartenant à des Juifs avaient été réduites des deux tiers.
Après un bref répit en 1936 – l’Allemagne accueillait à la fois les Jeux olympiques d’été et d’hiver et souhaitait montrer un visage tolérant à une communauté internationale de plus en plus sceptique – la persécution des Juifs reprit de l’ampleur. À partir de 1937, les Juifs furent tenus d’enregistrer leurs biens auprès du gouvernement, un obstacle évident à une confiscation à grande échelle. Les boycotts des entreprises juives, approuvés par le gouvernement, se sont multipliés.

Au cours des six premières années de son règne, Hitler a promulgué plus de 400 décrets réglementant tous les aspects de la vie des Juifs. Alors que les nazis engloutissaient des territoires – l’Autriche, une partie de la Tchécoslovaquie, la Pologne – ses fiats exerçaient leur influence sur de plus en plus de Juifs (la Pologne en comptait à elle seule 3,3 millions).

Mais à mesure que son Reich grandissait, Hitler se heurta à un problème insoluble : il y avait trop de Juifs pour simplement les marginaliser.