Se sentir des hommes, pendant quelques jours. Indépendamment des revendications,
cette grève est en elle-même une joie.
Une joie pure. Une joie sans mélange. (…)
Nul ne sait comment les choses tourneront.
Plusieurs catastrophes sont à craindre.
Mais aucune crainte n’efface la joie de voir ceux qui toujours, par définition, courbent la tête, la redresser.
Ils n’ont pas, quoi qu’on suppose du dehors, des espérances illimitées.
Il ne serait même pas exact de parler en général d’espérance. Ils savent bien qu’en dépit des améliorations conquises, le poids de l’oppression sociale, un instant écarté, va retomber sur eux. Ils savent qu’ils vont se retrouver sous une domination dure, sèche, et sans égards.
Mais ce qui est illimité, c’est le bonheur présent.
Ils se sont enfin affirmés.
Ils ont enfin fait sentir à leurs maîtres qu’ils existent.
Simone Weil