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Le pain ...
Je me souviens du pain. Le pain sacré qu'on posait sur la table. Ma mère y faisait un signe de croix avant de le trancher, elle n'acceptait pas qu'on le retourne - ça porte malheur disait-elle! Etrange mélange de croyances chrétiennes et de superstitions proches de la magie noire. On ne jetait pas le pain, jamais, c'était à la fois interdit et impensable. Même le pain dur on ne le jetait pas ; ça voulait dire, on ne jette pas nos efforts pour le gagner, la sueur, la peine, les tracas, les angoisses pour finir le mois. On ne jetait pas le pain, jamais, il était la vie même, on ne jetait pas la vie. S'il était le résultat d'un labeur, il était surtout le droit de calmer la faim, de savourer longuement un plat en sauce, de goûter à une nouvelle confiture… Il était lié à la vie de tous les jours, à la façon d'y goûter, d'en combler les manques. La vie de tous les jours avait pour axe, ce pain posé sur la table.
Les parents avaient connu les restrictions de la guerre, les tickets de rationnement, les files d'attente, le pain si impossible à trouver. Alors le pain dur allait dans un petit sac. Pas encore assez dur, il faisait trempette dans les bols de café du matin, et devenu plus dur encore, il devenait “pain perdu” qu'un peu de sucre et de lait rendait à l'égal d'un dessert haut de gamme : pas perdu pour tout le monde.
Jacques Dor
Tags : pain, jetait, dur, vie, jours, perdu
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