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Les vrais Charlie sont meurtris ...
Retour à la campagne
Par Philippe Lançon
Tout le monde n’a pas la chance d’avoir une maison de campagne. Celle de ma famille, dans la Nièvre, est une petite maison de village. Ses charmes discrets, qui ne sont pas de la bourgeoisie, viennent d’un vieil escalier en pierre et de sa verrière. C’est là que mes grands-parents, des personnes simples et pauvres, issues du monde paysan, se sont installé après leur retraite, dans les années soixante. Qu’auraient-ils pensé de la multiplication contemporaine de crétins sans humour et de possédés ? Qu’auraient-ils dit ? Je n’arrive pas à l’imaginer. Ils avaient connu d’autre horreurs, et d’abord, pour mon grand-père, la guerre de 14. Il avait lu quelques livres de Maurice Genevoix.
J’ai passé dans leur maison bien des vacances, des week-ends, des maladies infantiles, des périodes d’adolescent solitaire, d’homme marié, divorcé, de reporter de retour des pays lointains, de lecteur, d’écrivain. J’y ai marché, couru, pédalé, conduit, sur la moindre route et le moindre chemin situés à vingt kilomètres à la ronde. Mon corps a été largement construit et déterminé dans et par cet espace à la verdeur intense et bien tempérée, la vallée de l’Yonne. Ce n’est pas l’Anjou de Du bellay ; ce pourrait l’être. C’est donc ici, après plus de quatre mois d’hôpital, que j’ai effectué ma première longue sortie – trois jours. Ma famille m’y attendait. Des voisins, des amis d’enfance, sont passés me voir ou m’ont accueilli. Aucun d’entre eux ne m’avait vu depuis le 7 janvier. Leur attention était calme, délicate, élégante. Tous étaient plus qu’horrifiés, rendus muets par l’attentat. Sur le portail d’une maison où j’allais jouer enfant sous l’auvent, il y a avait encore l’écriteau : je suis Charlie.
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Tags : maison, charlie, monde, renaissance, courage
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