Mamie avait sa tête des mauvais jours. N'ayant pas le souvenir de l'avoir souvent vue dans un bon jour, je peux même dire que mamie avait sa tête de tous les jours. Papy, maman, papa, tante Odile et même le chien, les poules, les lapins, tout le monde en prenait pour son grade. Hargneuse, teigneuse, c'est comme s'il y avait quelque chose qu'elle avait mal digéré. Il n'y a guère qu'avec moi que mamie semblait lâcher du lest. Je me souviens d'une main caressant mes cheveux, je me souviens d'un sourire furtif lorsqu'elle m'observait jouer dans la cour… Et puis, parfois, quand elle me donnait un gros billet pour aller faire les courses, elle me disait de garder la monnaie pour m’acheter des bonbons.
Ce n'est qu'à l'âge de la sénilité que mamie toute en dureté, mamie toute en pudeur, mamie toute en reproches, est devenue une vraie mamie douceur. Elle a alors distribué plus de câlins et de sourires qu'elle n'en avait jamais faits au cours de sa vie. Et, lorsque je passais la voir, elle devenait rayonnante en me disant : « Je suis si contente de te revoir, mon petit Jeannot. » Je ne m'appelle pas Jeannot, je ne m'appelle pas Jean, mais ça n'a pas d'importance. L'essentiel, c'est que mamie ait fini sa vie heureuse.
Le vie en noir et blanc