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Philosophie et genre ...
Par André Comte-Sponville
GENRE. Un vaste ensemble, qui ne se définit pourtant que par rapport à d’autres : plus vaste que l’espèce (un genre en comporte plusieurs), plus réduit que l’ordre (au sens biologique du terme : le genre Homo, dont Homo sapiens est la seule espèce survivante, fait partie de l’ordre des primates). Notion par nature relative.
Ce qui est genre pour ses espèces peut être espèce pour un autre genre, qui l’inclut. Par exemple le quadrilatère, qui est un genre pour ses différentes espèces (trapèze, losange, rectangle...), est lui-même une espèce du genre polygone, qui peut à son tour être considéré comme une espèce du genre figure géométrique. Tout dépend de l’échelle et du point de vue adoptés. C’est pourquoi on parle de genre prochain, depuis Aristote, pour désigner l’ensemble immédiatement supérieur (en extension) à celui qu’on veut définir (en compréhension) : il suffira pour cela d’indiquer la ou les différences spécifiques de ce dernier. Par exemple, un quadrilatère est un polygone (genre prochain) à quatre côtés (différence spécifique), comme un trapèze est un quadrilatère (genre prochain) dont deux des côtés sont parallèles (différence spécifique). C’est une façon d’ordonner le réel, pour pouvoir le dire.
Les grammairiens distinguent les genres masculin, féminin et, dans certaines langues, neutre. Distinction conventionnelle, qui ne se réduit aucunement à la différence sexuelle (une sentinelle peut être un homme, un cyclone ou une tempête n’ont pas de sexe). Aussi est-il devenu courant, ces dernières décennies, d’utiliser cette notion d’abord grammaticale pour en faire un usage anthropologique : les genders studies nous ont appris à distinguer le genre, qui est une construction culturelle et psychologique, du sexe, qui est une donnée biologique, donc naturelle. Disons qu’on naît mâle ou femelle, et qu’on devient homme ou femme, masculin ou féminin, sans que le sexe de naissance suffise à définir le genre dans lequel on se construit, ni à garantir la concordance entre les deux.
Cela, qui est très vrai, ne saurait pourtant annuler la différence des sexes, qui précède celle des genres et la rend possible. Il n’y aurait pas de transsexuels, s’il n’y avait, d’abord, des sexes. Ni de construction sociale (par exemple celle des genres), s’il n’y avait, d’abord, des mâles et des femelles. La culture fait partie de la nature. Comment pourrait-elle l’abolir ?
André Comte-Sponville
Extrait du Dictionnaire philosophique, nouvelle édition aux PUF
Tags : genre, espece, sexe, difference, d’abord
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