Il m’arrive de ressentir le monde avec un immense détachement. Comme si je n’y étais plus, ou m’en étais éloigné assez, du monde, pour ne plus craindre, ni subir, la rumeur de ses malheurs permanents et mortifères. Comme si les miens ne m’atteignaient plus non plus ; l’impression de ne plus jouer dans cette cours, de ne pas jouer dans une autre. L’impression d’un détachement, comme parfois avant la mort, l’homme qui vole et nage à la fois, à force de morphine. Détachement comme au tout début, quand on vous a coupé le cordon qui vous reliait aux mondes antérieurs. Un détachement, une coupure alors, qui ne serait ni le vide, ni la tristesse, ni l’ennui, ni la solitude. Une coupure avec ce qui empêche afin de ne pas être empêché, justement, d’aimer désirer encore, et même, de désirer aimer toujours. Un sentiment de pur et profond détachement, les yeux ouverts.
Jacques Dor