Il existe un point dans l’ennui où l’on ne s’ennuie plus.
Le regard est vacant, libéré.
Il ne choisit plus.
On voit, enfin.
On voit les choses, celles que la pourpre des mots obscurcit, étouffe.
On voit, tout.
Les pierres au bord des chemins.
Les feuilles sur les arbres.
Tout ces gens dans les rues, sur les routes.
On pourrait aimer le premier venu, c’est étrange, n’importe qui.
La passion, elle est toujours là, errante, et le silence qu’elle fait en une seconde.
Il suffirait de rien, d’un rien.
Les visages, on les voit comme des peintures.
La plupart sont inachevées.
Tout reste en l’état, en suspens.
Avant l’amour, il n’y a rien.
Après l’amour, il y a tout.
On est là, juste dans le passage.
Cela pourrait indifféremment porter le nom d’une sagesse,
d’une démence ou d’un effondrement de l’âme.
Christian Bobin