Mais s'il est vrai, comme toute perspective nous l'assure, que le genre humain ne retombera pas dans son ancienne barbarie; si tout doit nous assurer contre ce système pusillanime et corrompu qui condamne l'homme aux oscillations éternelles entre vérité et mensonge, liberté et servitude, il faut en même temps s'apercevoir que la lumière de l'information ne se répand que sur une petite partie seulement de notre globe; et le nombre de ceux qui possèdent une véritable instruction semble s'évanouir dans la comparaison avec la masse des hommes livrés à l'ignorance et aux préjugés.

Nous voyons de vastes pays gémir sous l'esclavage, et présenter des nations en un seul endroit, dégradées par les vices de la civilisation, si corrompues qu'elles entravent le progrès de l'homme; et dans d'autres, végétant encore dans l'enfance de son jeune âge.

Nous percevons que les efforts de ces derniers âges ont fait beaucoup pour le progrès de l'esprit humain, mais peu pour la perfection de l'espèce humaine; beaucoup pour la gloire de l'homme, un peu pour sa liberté, mais presque rien encore pour son bonheur.

Dans quelques directions, nos yeux sont frappés d'une lumière éblouissante; mais une obscurité épaisse couvre encore un immense horizon.
Nicolas de Condorcet (1743-1794)