La cigale s'apprêtant à chanter tout l'été se trouva fort dépourvue quand la fourmi, sa voisine, la boulotta sans autre forme de procès. Ah oui, la fable d'Esope, reprise par ce brave La Fontaine, n'est pas zoologiquement rigoureuse, il faut le savoir.
Un, quand la bise sera venue, la cigale ne sera plus. Sa vie à l'état d'imago, c'est-à-dire d'insecte reproducteur abouti, dure moins d'un mois : elle ne passe pas l'été ! Voilà pourquoi son agenda consiste juste en concerts et coquineries : elle n'a nulle nécessité de besogner comme une fourmi laborieuse.
Deux, l'essentiel de son existence se passe sous terre. A l'état de larve aveugle, durant deux ans au minimum - jusqu'à 17 ans pour une espèce américaine.  Et puis, un jour d'été, paf, elle se métamorphose en soliste aérienne ailée. Mais avant de composer des rengaines provençales et d'entamer son tour de chant, il lui faut s'extraire du sol, escalader un support végétal, changer de costume, déplier et sêcher ses ailes. Trois heures d'un labeur périlleux, car il la laisse sans défense. Quelques gourmets en profitent pour s'en faire une ventrée : dont la fourmi sa voisine, qui n'entend pas crier famine.
Trois, invitez une cigale à dîner, vous verrez, elle ne touche  pas un seul petit morceau de mouche ou de vermisseau. Elle sirote de la sève. Exclusivement de la sève. Ne le prenez pas mal, mais la passionnante cigale appartient à la famille des impopulaires punaises et des pitoyables pucerons. Bon. Désolé.
Thierry Creux pour ouest-france